http://nma32.com/chroniques/2014-2/cathedrale-st-gervais-et-st-protais-de-lectoure-dimanche-3-aout/, Alain Huc de Vaubert
Ce magnifique ensemble bordelais démontre avec maestria, s’il en était besoin que le bonheur de chanter est hautement contagieux.Ce fut une découverte et même une véritable révélation lorsque le Chœur Voyageur s’était produit l’an dernier à Condom. Le succès fut tel, qu’il était naturel de l’inviter à nouveau cette année et le message de son originalité et son excellence est passé à tel point qu’initialement programmé à l’église du Saint-Esprit à Lectoure, le concert fut transféré à la cathédrale, qui affichait complet. Sa venue à Lectoure est d’autant plus naturelle, que l’ancienne forteresse des comtes d’Armagnac connaît une belle tradition chorale depuis une quarantaine d’années.
Dirigé par le pétillant Alexis Duffaure, Maître de chapelle à la cathédrale Saint-André de Bordeaux, qui dirige également les deux chœurs d’enfants de la maîtrise de Bordeaux, cet ensemble constitué d’une quarantaine d’étudiants en musicologie et au conservatoire, renouvelle quelque peu l’image que l’on peut se faire du chant choral. Pour Alexis Duffaure, un concert est un moment de partage et une fête et à entendre sa joyeuse bande, les plus taciturnes ne peuvent que souscrire à une conception semblable. Aux antipodes du statisme d’antan, ils chantent par cœur en de multiples langues afin de mieux bouger sur scène. Car si l’on ne parle pas tout à fait de mise en scène, leur concert est largement scénographié selon une belle occupation de l’espace. Dès leur entrée déambulatoire sur une marche nuptiale norvégienne, ils se dispersent en plusieurs chœurs dans la cathédrale, jouant de l’architecture pour créer d’envoûtants effets de spatialisation, qui enveloppent le public dans une harmonie totale.
Renouveau de la musique sacrée
La première partie du concert fait la part belle à la musique sacrée, puisée dans le répertoire traditionnel ou contemporain, dont les compositeurs qui choisissent le mode tonal, s’inspirent toujours des anciens, qu’il s’agisse de la mélodie grégorienne ou du modèle palestrinien de la Renaissance. Néo classiques ou nettement plus audacieux dans les harmonies, ils traduisent un regain d’intérêt pour la musique sacrée, tel que l’on n’en avait pas entendu depuis les années trente du siècle passé.
Pour autant, le chœur nous offre des pièces méconnues comme ce superbe Ave Verum Corpus de Saint-Saëns, un poignant Ave Maria de Bruckner ou une mélancolique prière traditionnelle irlandaise, sans oublier un motet monumental de l’américain Whitacre Lux Arumque, accompagné d’une superbe mise en lumière réalisée par les techniciens du festival. Et que dire de cette variation rythmique obstinée sur le Dies Irae du Requiem grégorien ? Ce thème qui traverse toute l’histoire de la musique n’a rien d’éculé et il inspire encore les compositeurs d’aujourd’hui. On apprécie encore un chant de Noël et un bel Alleluia fugué de l’américain Manuel Ralph. Selon une énergie contagieuse, ils renouvellent le célèbre gospel The Battle of Jericho.
La bonne mondialisation musicale
Le chœur porte parfaitement son nom en visitant des musiques de pays et surtout de langues exotiques à nos oreilles. Pour Alexis Duffaure, la mondialisation ne consiste pas en une uniformisation généralilsée des rythmes et des sonorités, mais au contraire en la diffusion des particularités de chaque peuple et chaque civilisation.
C’est ainsi qu’un chant inuit composé par Pierre Manchot, un ancien choriste de l’ensemble, met en œuvre des basses dont la profondeur évoque le chant diphonique des chamanes des steppes glacées. Un trio féminin lapon très expressif nous tire quelques larmes et un chant traditionnel lituanien, spatialisé lui aussi, utilise les basses en faux bourdon comme on en entend dans toute la musique sacrée médiévale. Le public plébiscite ce fameux chant de mariage zoulou « Hamba Lulu », scandé sur une rythmique extraordinaire, qui constitue un morceau de bravoure de leur répertoire.
Et l’humour en prime
Fantaisie et humour figurent au programme avec quelques surprises qui ne manquent pas de ravir le public. Une irrésistible Fugue marinière nous met en joie par le traitement facétieux et hautement musical de la chanson populaire À la pêche aux moules. Cela rappelle aux quinquagénaires et plus, les dimanches midi de la bande de Jacques Martin, qui au milieu des années 70 était parvenu à faire chanter cette innocente comptine à la France entière… d’autant plus que très élaborée, la version d’Alexis Duffaure est musicalement bien supérieure. Le pot pourri de parodie symphonique et lyrique est également un morceau de choix où le chœur part gentiment en vrille dans un vaste melting pot symphonique où l’on s’amuse à reconnaître les thèmes.
Le chœur ne saurait nous quitter sans avoir interprété l’un de ses « tubes », brefs, mais si caractéristique, ce chant traditionnel slovaque Prsi prsi (Il pleut) où la pluie est parfaitement rendue par toutes sortes d’artifices vocaux, corporels et rythmiques, jusqu’à d’étonnants coups de tonnerre martelés aux pieds.
Conquis et surpris depuis la première note, le public ne se fait pas prier pour faire un triomphe à cet ensemble si jubilatoire et communicatif, qui enterre définitivement l’idée surannée de la chorale, telle que certains peuvent encore l’imaginer à tort.
Il est vrai que le public recherche aujourd’hui de plus en plus à passer un bon moment avec des musiciens communicatifs. Contrairement à la recherche exclusive de « tubes » ressacés à l’infini, il a soif de nouveautés et de découvertes. À commencer par Les Nuits Musicales, qui s’y attèlent avec la même passion depuis 46 ans, de nombreux festivals mettent au point des formules innovantes pour faire découvrir la musique par un biais différent. Et cette mission exaltante n’est jamais achevée !
Alain Huc de Vaubert
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Source : nma32.com